C’est l’histoire d’un château qui n’a rien à envier aux contes de fées. Situé dans la discrète commune de Raismes, dans les Hauts-de-France (59590) le Château, longtemps laissé à l’abandon est sur le point de connaître une renaissance. Entouré d’un parc boisé et agrémenté de jardins à l'anglaise, le Château de la Princesse, inspiré du style néo-gothique du XIXe, possède de nombreuses qualités pour devenir l’espace convivial de prédilection pour les habitants de la commune ainsi que pour les touristes
Construit en 1829 par la famille d’Arenberg, devenu propriété municipale en 1952, le Château d’Arenberg aussi joliment appelé le Château de la Princesse, fort de ses 15 281 m² de jardin, connait aujourd’hui un nouvel essor. Une nouvelle vie pour le Château, située sous la lumière d’un projet de réhabilitation qui laisse entrevoir un nouvel horizon aussi bien pour l’architecture de demain que pour notre façon d’habiter le monde. Loin de sa poussière d’antan, de la rouille à laquelle les habitants de la commune s’étaient habitués et de l’austérité qui pouvait jadis s’en dégager, un vent nouveau souffle dans l’enceinte du Château et ranime son esprit jusqu’alors endormi. Cette brise y faire naitre un dynamisme sans précédent pour la plus grande joie des acteurs locaux et des habitants de Raismes. Tout se passe comme si, une fée était passée, ici et là, dans l’antre du château, d’un coup de baguette magique.
Le château d'Arenberg, possède une histoire riche et bien particulière. Construit au XVIIe siècle par Charles de Croÿ, le château était à l'origine un élégant manoir de style Renaissance. La famille de Croÿ était une famille noble importante dans la région, et le château servait de résidence principale à cette lignée aristocratique. Au fil des siècles, le château a été agrandi et rénové à plusieurs reprises, reflétant les évolutions architecturales et les goûts de ses propriétaires successifs. Il est notamment passé entre les mains de la famille d'Arenberg au XVIIIe siècle, d'où son nom actuel. Pendant la Première Guerre mondiale, il a été utilisé comme quartier général par l'armée allemande. Après la guerre, il a été restauré et est devenu la propriété de la ville de Raismes. Aujourd'hui, le château d'Arenberg est un site historique ouvert au public. Il accueille régulièrement des événements culturels, des expositions et des visites guidées, permettant aux visiteurs de découvrir son histoire fascinante et son architecture remarquable. En plus de sa beauté architecturale, le château est entouré de magnifiques jardins, offrant un cadre paisible pour se promener et se détendre.
Un tel projet n’est pas uniquement entrepris en raison de son potentiel touristique et économique, mais également, et surtout, en raison de valeurs qui motivent LSRE. Il est alors possible de rassembler ces valeurs que souhaite respecter LSRE en trois grands principes Ces principes se conforment à la Charte de la Réhabilitation de Bâtiment Ancien, à savoir la :
Dimension patrimoniale : objectif de préservation des valeurs architecturales et patrimoniales du bâtiment.
Dimension technique : objectif de pérennité des composants et de qualité sanitaire du bâtiment.
Dimensions énergétiques et environnementales : objectif de réduction des consommations d’énergie et de l’impact environnemental du bâtiment et d’augmentation du confort intérieur. »¹
¹https://www.rehabilitation-bati-ancien.fr/charte-rehabilitation-responsable-du-bati-ancien
La première valeur mise en avant par ce projet est donc avant tout celle du patrimoine. Habitat historique, marqué par le temps, d’abord propriété privée puis propriété municipale, le Château fait partie intégrante du paysage de la commune. Il symbolise à lui seul une certaine idée du bien commun et de la transmission. Il s’agit alors de réinvestir dans cet héritage collectif, et, par la même occasion de valoriser un lieu qui s’ancre littéralement dans le territoire. Réhabiliter le Château est une façon d’honorer cet attachement territorial. Est ainsi mise en valeur et à l’honneur la volonté de pérenniser un héritage commun, de continuer l’histoire du Château avec celle de la commune et de ses habitants. Le mot patrimoine désigne étymologiquement « l’héritage du père » agir en faveur du patrimoine c’est donc en un sens se reconnaître dans une filiation, qu’elle soit symbolique, territoriale ou réelle. Or, en réhabilitant ce Château, il s’agit non seulement d’honorer ce qui a été transmis par nos aînés mais aussi de faire du Château un espace collectif et convivial, de créer du lien fraternel grâce à un lieu. Vecteur d’union, et symbole de la victoire de l’homme sur le temps, ce projet de réhabilitation a pour le but de rassembler les habitants et les futurs touristes dans un futur proche tout en conservant le respect et l’humilité qu’imposent son passé.
Non sans surprise, l’éthique environnementale constitue une des grandes valeurs de ce projet. L’impératif est de respecter la nature environnante du Château, d’agir sur celle-ci sans lui porte préjudice ou la détruire. Pour exemple, LSRE a souhaité ne déraciner aucun arbre présent dans le jardin du Château, tous seront donc conservés et mis en valeur afin d’allier la nature, l’esthétique et le rôle touristique du lieu. Est également envisagée et projetée la création d’un potager et de différentes haies. La création d’un espace commun ne s’arrête donc pas à une collégialité humaine mais s’étend bien à une élaboration d’une communauté de vie durable et sociale entre tous les êtres vivants. Conscient que le défi environnemental est aussi celui de l’eau et de sa circulation et ne s’arrête pas alors à la protection des vivants mais également à celle des minéraux sans lesquels la vie sur Terre ne serait possible, LSRE envisage de mettre en place une cuve de récupération des eaux pluviales ; la cuve pourrait alors pour les toilettes et de contribuer à l'entretien du parc. Ce faisant, le gaspillage hydraulique serait en grand partie évité.
S’il est certes louable d’entreprendre un tel projet, lui-même motivé par des valeurs patrimoniales et environnementales, un tel idéal s’avère vaniteux et infructueux s’il ne prend pas en considération l’aspect pragmatique et pratique d’une telle entreprise. L’application de ces valeurs suppose alors une sérieuse appréhension de l’agencement du Château et une connaissance plus qu’exhaustive de sa structure. Il s’agit d’évaluer sur place ce peut offrir le Château tel quel, mais également de réévaluer sa structure et sa composition en imaginant d’autres alternatives. Le Château se faisant vieux, et l’acte de réhabilitation nécessitant de partir des matériaux, des façades déjà présentes, un tel projet se révèle être un véritable défi d’un point de vue technique et architecture. Un défi d’autant plus réjouissant et stimulant qu’une fois réussi, le Château deviendra à part entière un véritable exemple de ce que peut l’architecture d’aujourd’hui et de demain. Cela est la raison pour laquelle le choix des matériaux est alors de la plus grande importance. Il s’agit d’élire consciencieusement le meilleur matériel possible tout en prenant compte des règles imposées par l’éthique environnementale.
D’un point de vue technique, la provenance des matériaux qui seront ajoutés à l’ensemble du bâtiment est alors un point crucial. LSRE a ainsi fait le choix de la proximité ; l’approvisionnement de .75% du volume de bois utilisé est d’origine française. Il s’agit par un tel choix de favoriser l’économie locale et également de faire le choix de la qualité.
Intervenir sur l’existant signifie d’une part redonner à l’ensemble ses qualités typologiques et distributives perdues, et d’autre part apporter des réponses architecturales aux nouvelles problématiques réglementaires comme celle de la rénovation énergétique ou de l’équipement technique²
Pierre Dangle
Lorsque l’on aborde des cas de réhabilitations, il semble à première vue, bien difficile de distinguer l’acte de réhabilitation de celui de la rénovation tant ces termes semblent s’entrecroiser, se supposer l’un et l’autre, être interchangeables et similaires. Dans l’imaginaire collectif, réhabiliter c’est rénover, et rénover c’est en un sens réhabiliter. Nul besoin, semble-t-il, donc, de trouver une quelconque nuance. Pourtant, si l’on prend le cas spécifique du Château de la Princesse, le terme de rénovation semble bien trop inexact et imprécis pour caractériser l’ensemble du projet architectural. Il sera alors question d’éclaircir cette équivocité originelle, appuyée des recherches de l’urbaniste Salomé Pagesse, pour qui :
« Réhabiliter : [est une] intervention soucieuse de préserver le caractère historique du bâti tout en y installant des éléments de confort contemporains. Remettre en état un bâtiment, notamment en le mettant en conformité avec les normes en vigueur en matière de sécurité, d’isolation, de confort. Elle inclut donc toutes sortes de réparations, reconstructions, restaurations, rénovations d’un bien afin de le moderniser. Définition pragmatique qui ne met pas vraiment en avant le caractère sensible de l’intervention architecturale mais qui souligne le dialogue qui s’instaure entre l’existant et le neuf dans ce genre de projet en tenant compte des différentes temporalités du bâti. Notion qui réunit et nuance les termes proches de « rénover » et « restaurer » en architecture. »³
La réhabilitation se distingue donc par le strict respect de l’histoire du bâtiment et de ce qu’il en reste à l’heure actuelle. Ainsi, alors que la rénovation s’applique uniquement à rendre neuf ce qui était ancien, la réhabilitation fait du neuf à partir des vestiges de l’ancien. Dès lors, la réhabilitation est une action qui suppose une grande délicatesse, aussi bien sur le plan technique puisqu’il faut faire attention aux matériaux laissés à disposition, mais également sur le plan spirituel car elle nécessité une certaine sensibilité à l’égard de l’histoire d’un bâtiment. Réhabiliter, c’est faire avancer le potentiel d’un bâtiment tout en perpétuant l’âme de ce dernier. Au fond, l’acte de réhabilitation s’inscrit dans une volonté de continuer l’oeuvre d’une époque tout en prenant en compte les attentes et les exigences d’une autre. Pour autant, le terme de réhabilitation, même distingué de la rénovation ne fait pas que des convaincus. A titre d’exemple, Adrien Robain, fondateur avec Alix Héaume de l’agence parisienne architecture, préfère utiliser le terme de « transformation » au lieu de réhabilitation. Selon lui « le mot de réhabilitation est assez limitatif. À l’agence, nous préférons utiliser le terme de transformation qui montre une opération plus ambitieuse, ou une éco-rénovation qui va au-delà d’une simple réhabilitation » Transformer, c’est littéralement aller au-delà de la matière donnée, la dévier de sa finalité principielle. Un tel terme met davantage l’accent sur le changement, la modification et l’initiative créative.
² Pierre Dangle dans https://anabf.org/pierredangle/dossiers/construire-dans-l-existant/larchitecture-ou-l-art-de-transformer-le-reel
³ Salomé Pagesse, La réhabilitation comme acte de création, ENSA Nantes, 2021, p. 12
La réhabilitation porte la volonté de réinventer l’existant⁴
Lauranne Schied
Toute réhabilitation, nous l’avons donc vu suppose un certain respect du caractère architectural originel du bâtiment. Réhabiliter, c’est donc partir de l’existant, sans s’y limiter entièrement. La réhabilitation s’inscrit ainsi dans une ontologie particulière : il s’agit, à partir de l’être actuel d’un bâtiment donné de faire advenir ce qui n’est pas encore. En d’autres termes, l’acte de réhabilitation consiste à faire passer une chose du non-être à l’être à partir d’un être actuel qui s’y subsume.
Ici, donc, la réhabilitation équivaut au fond à la transition entre le potentiel – ce qui peut possiblement être mais n’est pas encore, actuellement – et l’actuel – ce qui est -. Il pourrait même être judicieux de parler d’une révélation : la réhabilitation révèle certains traits du bâtiments jusqu’alors peu mis en valeurs. Elle constitue ainsi à elle seule une forme d’épiphanie architecturale. La réhabilitation ainsi prise arrache le bâtiment d’une inertie stérile et délétère, et le dynamise. Réhabiliter, c’est impulser du mouvement là où il n’y avait qu’inertie. Le mouvement symbolise alors une vie nouvelle, plus riche et énergique, l’inertie, une vie qui touche à son terme, que les séquelles du temps n’ont pas laissée indemne. Une telle ontologie n’est cependant pas la porte ouverte à n’importe quelles possibilités. Aristote, lui-même dans la Métaphysique, avait bien remarqué qu’en dépit d’une mosaïque de potentiels en chaque être, (par exemple, chez l’enfant, il y a le potentiel de devenir adulte, or ce devenir adulte, de devenir un adulte musicien, de devenir un adulte serrurier mais cela n’est pas encore actuellement et est donc refoulé au stade du non-être) il n’en demeure pas moins que ce devenir fait de potentialités respecte ce qui est propre à la nature de chaque être. L’enfant peut devenir adulte mais il ne peut pas devenir un chat pour illustrer cela trivialement. En ce sens, tout est possible dans les limites mêmes du possible. Accomplir un possible, un potentiel c’est donc respecter la nature même de son être. Et c’est, en somme, ce qui se produit en architecture. Certes, il ne s’agit alors plus d’êtres naturels, mais d’objets artificiels, anthropiques. Mais force est de constater que le dessein de la réhabilitation se calque sur cette ontologie particulière de l’être et du devenir. Réhabiliter c’est révéler un potentiel, modifier conséquemment le paraître d’un bâtiment à partir de ce que sa constitution, son être même permettait.
⁴ Schied Lauranne, Fondatrice de LSRE, https://hors-site.com/la-rehabilitation-porte-la-volonte-de-reinventer-lexistant/
Quoi qu’il en soit, prise en elle-même la réhabilitation constitue à part entière un acte de création. Il s’agira ici de prouver que la création en architecture peut se passer d’une création ex-nihilo, d’une création qui exige de partir soit de rien, et donc, de faire violence à un environnement déjà existant, ou d’une création qui exige la destruction et la démolition afin de construire, de bâtir. Créer devient alors l’acte par lequel la construction se prolonge tout en se renouvelant. Si l’on y prête attention, il y a donc, une dramaturgie propre à l’acte de réhabiliter. La situation donnée du Château peut alors s’apparenter à la situation initiale d’un conte, l’élément perturbateur au projet de réhabilitation et ses enjeux environnements, les travaux aux péripéties, le dénouement à l’accomplissement du projet. En ce sens, le Château devient un théâtre où s’enchaînent divers évènements qui constituent les étapes nécessaires à la réalisation. Si l’artistique peut être interprété symboliquement lors des étapes préliminaires à la réhabilitation, l’idée même de réhabilitation nous invite à comprendre autrement le processus de création en architecture. Il est alors possible de voir la réhabilitation comme un palimpseste architectural.
Par analogie, le lieu devient un manuscrit sur lequel sont laissées des traces, matérielles et immatérielles, d’occupations anciennes. Les fragments du passé deviennent alors un véritable moteur de créativité contemporaine qui, à son tour, enrichit le paysage urbain d’une nouvelle couche de signification. Simultanément, le processus historique comme construction perpétuelle est mis en évidence. Le site et ses bâtiments sont considérés comme un palimpseste, c‘est-à-dire une oeuvre dont l’état présent peut laisser supposer et apparaître des traces de versions antérieures.⁵
Comparé à un palimpseste, le lieu incarne à lui seul une création passée, présente et à avenir. Ainsi, au lieu de simplement conserver les vestiges du passé, la réhabilitation propre une réinterprétation du lieu. Elle expose alors de nouvelles créations. Aidée par une telle approche dynamique de l'histoire, elle apporte une nouvelle sensibilité au lieu tout en préservant une partie de la précédente sensibilité du lieu. La réhabilitation, en tant que palimpseste architecturale a alors la prétention de viser et d’accomplir une création continue, susceptible à tout moment de se métamorphoser, de se renouveler.
⁵ Gaudet-Chamberland, Katerie et Aude Gendreau-Turmel (2009-10). «Le palimpseste architectural : le passé en filigrane». Continuité, no. 123, p. 13
Au-delà de tout, la réhabilitation porte en son sein une prétention métaphysique. Réhabiliter, nous l’avons vu, c’est partir de ce qui est, en créant autre chose. Ainsi, la réhabilitation est activité anthropique qui vise à continuer et à renouveler les legs du passé. L’enjeu qui se pose ainsi est celui de rapport à la temporalité. En continuant un bâtiment déjà abîmer par le temps, l’acte de réhabilitation s’évertuer à rivaliser avec ce dernier.
Pris ainsi, il est alors une façon humaine de conjurer le temps et d’aller au-delà de notre propre finitude. Si le bâtiment tel qu’il est ainsi projeté finira tôt au tard par subir lui aussi l’oeuvre du temps, la perspective d’une autre réhabilitation rejettera pour autant la fatidique échéance de son anéantissement. La réhabilitation est aussi un moyen pour communiquer d’outre-tombe avec les penseurs, les architectures du passé qui ont contribué à construire le bâtiment tel quel.
Réhabiliter c’est alors instaurer et perpétuer un dialogue symbolique avec nos prédécesseurs. Il s’agit alors de se projeter par-delà la finitude, avec pour horizon le perpétuement de l’élan de la création, de l’impulsion de la vie.
Gaudet-Chamberland, Katerie et Aude Gendreau-Turmel (2009-10). Le palimpseste architectural : le passé en filigrane. Continuité, no. 123
Salomé Pagesse, La réhabilitation comme acte de création, ENSA Nantes, p. 220
https://www.rehabilitation-bati-ancien.fr/charte-rehabilitation-responsable-du-bati-ancien
https://hors-site.com/la-rehabilitation-porte-la-volonte-de-reinventer-lexistant/